[C] Instinct ## Entropy Records [2009] Ambient

VA - Instinct [2009]

Entropy Records

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Ce premier disque de la toute nouvelle structure Entropy est assez particulier par bien des aspects.
D'abord par la gestation en elle-même du label, dont l'origine remonte au début des années 90 mais qui se met en place en quelques mois en pleine vague de froid de cette année 2009.

Ensuite parce qu'il s'agit du projet, "un rêve lointain" dira-t-il, d'un seul homme, David Saulnier. Ayant assisté à la naissance du mouvement techno et l'ayant accompagné durant toute sa croissance jusqu'à ajourd'hui, après avoir traversé les périodes fastes des années 95-97 et les moments d'interrogation symptomatiques d'un courant musical pour lequel personne n'a jamais vraiment pu conférer d'identité clairement définissable.

La crise financière d'Automne 2008, d'une certaine manière, constituera aussi un tournant important dans sa manière d'appréhender la musique électronique.

Jusqu'alors essentiellement concentré sur le mouvement techno, David Saulnier s'ouvre de plus en plus aux musiques hybrides, versatiles et expérimentales. Empreint de fascination, il réalise alors qu'elles sont à même de pouvoir servir de fondations pour bâtir son projet.

Dernier point enfin, la discordance apparente entre les artistes invités à poser les premières briques sur ce disque s'efface pour donner paradoxalement un vrai sentiment d'unité.
À cet égard il ne fait guère de doute que le terme choisi pour donner son nom au label n'est pas opportun mais a bien un sens particulier.
"Instinct" fait côtoyer des sons provenant tous d'univers assez différents, mais le choix et la manière selon lesquels les morceaux sont agencés rétablissent une forme d'équilibre qui est assez remarquable une fois le dernier titre terminé.


"Entropy" entame donc sa vie à travers trois premiers morceaux d'inspiration ambient/drone aux relents dub assez prononcés.
Les deux morceaux d'ouverture du suédois Anders Peterson, tant sous Relapxych.0 que Nexus Sector A/D se nourrissent de nappes ambient chromatiques contre-balancées de pulsations dub cotonneuses.
Si dans cet exercice "Reminiscensor II" est d'une lumineuse exemplarité, fait de textures et d'oscillations minimalistes, on sera cependant un peu moins émerveillé par le morceau suivant "City Nightlights", lequel souffre surtout d'une certaine longueur pas vraiment justifiée, même si les amateurs d'ambient drone mental  y trouveront sans doute leur compte.

Le morceau suivant se démarque légèrement en proposant des sons plus incisifs et des atmosphères reverbérées plus denses.
Laurent Dock aka Lo est un vieux routard de la techno de Detroit, élevé à l'école Robert Hood et influencé par les créations de Basic Channel ou Chain Reaction dans sa manière de composer sa musique.
"Lava Flow" n'est pas sans rappeler les travaux de Rod Modell, notamment son projet Spectral Networks, disque d'ambient dub syncopé déjà culte.
Lo fait ainsi s'entre-choquer sonorités chaudes, glitchs soyeux et crépitements chaotiques supportés par les battements d'une basse intermittente pour donner l'impression d'écouter une techno qui serait sortie en ayant oublié d'enfiler ses bottes.

Ce premier axe clôt, "Instinct" bifurque alors vers un ambient plus organique, viscéral, non vraiment dans l'instrumentation à proprement parler, mais dans le ressenti même.

C'est particulièrement remarquable avec les deux morceaux de Lipo, grand pourvoyeur d'une musique ambient où l'improvisation tient une grande place et ce jusqu'à ses prestations en live souvent convaincantes de par la profonde implication qu'il met au service de sa musique et ses instruments.
Lipo délivre donc sur ce disque une composition magnifique avec "Deus Ex Vagina", sorte de bande originale pour un conte urbain torturé. Lipo emporte alors l’auditeur dans ses méandres, le plonge dans ce maelström sonore façonné par l’empilement de souffles et d’accords harmonieux.
Au sortir d'une telle expérience musicale, on peut raisonnablement craindre que le reste de ce disque ne propose d'émotion aussi intense que celle éprouvée sur ce "Deus Ex Vagina" enchanteur.
Cette impression est en partie fausse puisque les autres artistes en présence apporteront une sensibilité qu'ils expriment à leur manière.

Le second morceau de Lipo, cette fois et au contraire de "Deus Ex Vagina", use de sons acoustiques rappelant pour certains ceux des shishi-odoshi. Ceux-ci s'expriment dans toute la première partie du morceau que des choeurs évanescents vont lentement déformer en nappes chaudes et enveloppantes. Tant techniquement que musicalement, "Relax & Swing" est une vraie réussite.

"Instinct" dans sa grande partie est un disque qui laisse libre court à l'imaginaire, à l'introspection, laissant poindre ça et là des contours tantôt lumineux, tantôt obscurs, mais toujours intimement liés, entretenant une relation ambivalente et interdépendante . "Le Jeu" de Spaced Goats est à cet égard le morceaux le plus représentatif de ce disque.

Pat invite Kafka sur des vers des Fleurs Du Mal de Charles Baudelaire, reposant sur une structure instrumentale certes épurée mais assez ample pour sentir chaque mot percer l'épiderme.
S'il ne renoue cependant pas pas avec le merveilleux de sa composition pour "Sonic Atmosphere", Patrick démontre qu'il est ici autant à l'aise avec les ambiances tourmentées que gracieuses. Un artiste à suivre assurément, notamment à l'occasion d'un premier album qui se dessine, toujours sur la même structure.

Presque naturellement, Aum Guy poursuit le flot engendré comme si ces deux morceaux n'en étaient qu'un seul. "Morning Breeze" apporte ce qu'il faut d'oxygène pour ne pas se laisser submerger par la tension étouffante du "Jeu".

Aum Guy démontre par ailleurs comme beaucoup d'autres l'ont fait avant lui, qu'il n'est pas besoin d'empiler les pistes les unes sur les autres pour concevoir des harmonies complexes.
"Morning Breeze" invite donc justement au repos par ce flux et reflux des vagues ambient aux couleurs plutôt old school, à la façon des travaux passés de Carl Stone ou Gel-Sol sur EM:T.

Cet aspect de la musique de Aum Guy se retrouve par ailleurs sur le morceau suivant, "Life For Anything" par Bob.T.Racker, autrement connu comme faisant partie du binôme techno Kali-Frogz.
S'il on devait associer un élément à ce titre, ce serait bien l'eau, tant chaque son, chaque accord participe à rendre l'ensemble léger et fluide.
Un titre sans doute moins original que le reste de la sélection mais qui n'est vraiment pas désagréable à écouter et qui a bien sa place sur ce disque.

Le manager d'Entropy Rec. est sans doute quelqu'un d'iconoclaste et culotté, prenant un plaisir certain à surprendre là où l'on ne s'attend certainement pas à être surpris.

C'est à l"écoute de "In Utero" par Art?No que ce sentiment nous traverse immanquablement l'esprit. Ce titre est sur ce disque un véritable ovni musical mais traduit sans doute le mieux la philosophie du label; celle de s'affranchir de tout carcan thématique en laissant à chacun la liberté d'afficher ses intentions et ses envies.
Pour le coup, Arnaud Houzé s'essaye à de la bande originale de film Burtonien, avec un aspect romantico-gothique savamment dosé et entretenu par des choeurs que l'on pourrait penser tout droit tirés du célèbre film de Stuart Rosenberg.
Il eut été facile de verser dans les clichés les plus recyclés mais Arnaud s'y soustrait habilement. D'abord par ses talents de musicien - les instruments sont joués avec une étonnante virtuosité - et surtout grâce un backgound musical et cinématographique que l'on devine ostensiblement riche.
"In Utero" est un morceau fantasmagorique qui laisse découvrir un nouvel éclairage sur sa composition à chaque écoute, propre à l'imaginaire de chacun.

Dernier virage amorcé par "Instinct" et pas n'importe lequel puisqu'on monte assez en tempo et en intensité, avec deux morceaux mid-tempo par Silent Flowers Observer d'abord et Akira Club ensuite.

L'auteur du premier, Jérémy Duchamps délivre un titre séduisant, flirtant les limites de l'ambient crépusculaire dans sa longue introduction.
Ambiance moite de film noir, Black Eyed Susan poursuit une progression sur un sentier sinueux et sépulcral, où le malaise latent s'efface lentement à mesure que les choeurs ouvrent une voie salvatrice, vers un final de toute beauté.
L'impression que Jérémy a bien digéré les canons de la musique électronique est assez palpable, ce morceau n'en fait jamais trop et ne cède à aucun moment à la volonté de démontrer quoi que ce soit.
C'est un titre que l'on devine composé assez instinctivement, sans calcul bien que sa production - sans doute perfectible - témoigne d'un souci du détail à souligner.

C'est enfin à Akira Club que revient l'honneur de clore ce premier disque d'Entropy Rec.
Auteur d'une prestation remarquée au cours du Festival Ambiosonic 2009, Jonathan a remixé pour l'occasion un titre de son premier album (More Than Expected) et il faut bien reconnaître qu'à quelques accords près, le terme de remix est loin d'être usurpé.
Cette version de Sunken Treasure est sans doute plus dynamique, plus nerveuse également avec par moments quelques effluves rock dans la deuxième moitié du morceau.
Ce titre, et plus largement la plupart de ses compositions, revêtent cette particularité qu'ils ne ressemblent à rien d'autre. En relativement peu de temps; Jonathan est parvenu à poser les bases d'un son qui lui est bien spécifique, ce qui laisse entrevoir un bel avenir pour le jeune nantais et pour  nous une certaine impatience de le retrouver tant en live qu'en studio.

S'il devait toutefois y avoir un bémol à signaler, cela concernerait le mix du morceau en lui même. Indéniablement, il manque de piqué, de contraste, ce qui a pour conséquence d'atténuer considérablement la présence du morceau.

Globalement, nous avons donc là un disque de musique électronique qui nonobstant la présence d'artistes (dont c'est pour la plupart le premier essai discographique) aux backgrounds bien distincts, accouche d'un ensemble remarquablement homogène.

Pour être honnête, une fois le disque arrêté, pas un moment l'impression d'écouter une compilation ne s'est faite ressentir, ce qui témoigne d'autant plus du bon travail de production de la part du manager.

Enfin, on dira un mot sur le disque en lui même et plus particulièrement de sa finition, de celles qui rendent friands les collectionneurs de disques.
David a parfaitement compris ce à quoi doit servir le support physique, d'autant plus aujourd'hui où le disque subit la concurrence frontale du support immatériel et doit apporter pour se démarquer une réelle valeur ajoutée justifiant l'achat et "l'encombrement".

Il a donc été produit une centaine d'exemplaires numérotés et signés, agrémentés de goodies toujours appréciables et qui confèrent au disque une valeur substantielle au contraire du digital.


Voyez plutôt :

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C'est ce soucis du détail à l'écoute des amateurs de musique qui conforte dans l'idée que ce tout jeune label a un avenir,  non pour faire de l'argent, mais pour faire plaisir et se faire plaisir.

Par ailleurs l'aspect graphique a été soigné et on saluera pour l'occasion le travail des graphistes impliqués dans ce projet, qu'il s'agisse d'Arnaud Hust (KakoO) ou Thomas Derbanne, qui ont réalisé ici un travail qui colle au plus près de l'esprit recherché par Entropy Rec.

Loin de vouloir s'arrêter là, le label prévoit déjà deux sorties prochaines dont une pour le moins ambitieuse.


Bref, arrêtez donc de lire cette chronique de merde et courrez donc acheter ce disque pendant qu'il y a encore des copies disponibles et avant que son prix ne triple sur les market places.
À une époque où chaque mois qui passe voit s'éteindre de plus en plus de labels de musique s'appuyant sur le support disque, il est bon de saluer le courage de ces nouveaux entrants qui tentent le pari et de les supporter en contribuant à leur survie à la mesure du plaisir qu'ils nous procurent.
Smiley  Que dire!!!!!!!!!!!!!! MERCI Greg! Smiley
J'en suis réduit à utiliser ces saloperies d'emoticons!
ps: posté à 2h20 du mat en plus.... merci de ton temps!!!
Bien écrite, sans complaisances, truffée de références... Remarquable.
ca c'est de la review greg ...
je viens de recevoir le disque aujourd'hui et ca me donne encore plus envie de l'ecouter  Smiley
Ben dis donc c'est la grande classe la pfiuuuuuu..... david j'espere que tu as toujours mon exemplaire de coté hein ? Oui rien a dire c'est fait avec passion.
yes je vais te l'envoyer par la poste du coup Smiley sauf si tu veux pas que je plie le poster!!!!
Smiley  la classe la review!