De Lyon à Brest, l'électro a conquis son droit de cité

De Lyon à Brest, l'électro a conquis son droit de cité

LE MONDE | 04.05.05 | 12h55  •  Mis à jour le 04.05.05 | 13h19  

Lyon, capitale française de la musique électronique. Le constat semble une évidence. Pour la troisième année consécutive, la ville organise, du 4 au 8 mai, ses Nuits sonores. Près de quatre-vingts artistes ou groupes, une douzaine de lieux, 30 000 visiteurs au moins attendus : pendant quatre jours, la vieille cité bourgeoise imitera Barcelone et son Sonar. Une opération voulue et largement financée par la mairie, soutenue par la région, bénie par le ministère de la culture. Autant dire, un modèle, à l'heure où nombre d'organisateurs de soirées techno bataillent pour obtenir une aide modique ou une simple autorisation.

Même à Lyon, le succès récent prend pour certains "vieux" des allures de revanche. Il y a neuf ans, aiguillonnée par les patrons de boîtes de nuit, la municipalité, alors dirigée par Raymond Barre, avait poussé les organisateurs d'un grand rassemblement techno à annuler leur soirée.

Au dernier moment, la mairie avait invoqué un texte de 1874 sur la "tenue de bal" pour exiger la fermeture à 0 h 30. "L'heure où la fête commence" , précise Patrice Moore, un des concepteurs des Nuits sonores, déjà sur la scène lyonnaise à l'époque. Aujourd'hui, il s'en amuserait presque. Mais sur le coup, interdictions et gardes à vue aidant, ni lui, ni personne n'avait trouvé ça drôle. Au contraire, un collectif national, baptisé Technopol, avait été créé pour tenter de transformer l'image des musiques électroniques.

Depuis, les musiques électroniques sont entrées dans ce que Vincent Carry, coordinateur général des Nuits Sonores, nomme "l'ère de la légitimation" . Le Centre Pompidou et le Palais de Tokyo les accueillent à Paris, le Musée des arts contemporains leur fait une place à Lyon. Quatre figures de proue de la"French touch" , Philippe Zdar, Dimitri from Paris et le duo Air, ont même été faits chevaliers des Arts et des Lettres, jeudi 17 février. "Ces distinctions sont le symbole de la nécessaire diversité musicale" , a souligné Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture.

LA "RAVE À L'ARRACHE"

De la "diversité de traitement" , répliquent nombre d'organisateurs de festivals techno. En effet, si certaines municipalités ont choisi de parier sur cette nouvelle scène musicale, d'autres entretiennent avec les festivals des relations de méfiance, voire d'hostilité.

Au sommet de la pyramide trône donc Lyon. Tout le monde s'accorde à le dire : les Nuits sonores sont nées d'"une volonté politique" . "La ville avait raté son rendez-vous avec le rock, il était temps de rattraper le temps perdu et de changer d'image" , affirme Patrice Béghain, adjoint à la culture de Gérard Collomb, maire socialiste de Lyon depuis 2001. Une subvention de 270 000 euros (pour un budget total de 730 000 euros), la mise à disposition de nombreux lieux, aujourd'hui, Patrice Béghain peut saluer "la notoriété conquise par cette manifestation en seulement deux ans" .

Si la situation lyonnaise apparaît unique, d'autres villes la déclinent, à leur échelle. Ainsi Brest accueille, depuis 2001, Astropolis. Quatre jours de musique, du 4 au 7 août, au manoir de Keroual et dans plusieurs autres sites, 23 000 euros de subvention annuelle et 60 000 euros de prestations diverses : la commune est là encore en première ligne. "Une relation idéale" , résume Matthieu Berthelot-Guerre, fondateur et coordinateur du festival. Le jeune homme sait de quoi il parle car, en dix ans, il a tout connu. La "rave à l'arrache" , en 1995. L'accueil au château de Kériolet, à Concarneau, par "un châtelain de 50 ans, ancien du Studio 54 - boîte new-yorkaise au temps du disco -" .

Puis le transfert, en 2001. Tout juste élu, le nouveau maire de Brest, François Cuillandre, annonce que le festival posera ses tours d'amplis dans le manoir de Keroual. Le parc et la demeure appartiennent à la ville, mais se situent sur la commune voisine de Guilers.

Le maire de ce gros bourg de 5 500 habitants tempête d'"apprendre tout ça par la presse" , mais s'incline. Provisoirement. L'année suivante, il prend un arrêté d'interdiction. Entre-temps, une bousculade lors d'une fête étudiante sur sa commune a fait cinq morts. "Un drame, convient Matthieu Berthelot-Guerre, mais ça n'avait rien à voir. Ce n'était pas la même musique, pas les mêmes organisateurs, pas le même lieu, mais tout le monde avait peur. En plus, Le Pen avait atteint le second tour de la présidentielle, on nageait en plein délire sécuritaire." Faisant fi de ce contexte, le tribunal administratif casse l'arrêté municipal. Et Astropolis a lieu. "Pour le bien de l'agglomération" , convient aujourd'hui Jean Mobian, maire de Guilers.

Des mots qu'aimeraient bien entendre les responsables de Nordik Impact, à Caen, ou Marsatac, à Marseille. Au terme de six ans d'expérience, Christophe Moulin, directeur du rassemblement normand, est formel : "La ville supporte le festival plus qu'elle ne le porte." Les 10 000 euros de subvention alloués (budget total, 500 000 euros) sont minimes.

Pis : la municipalité a rendu, l'an dernier, un avis défavorable à la tenue d'une soirée d'ouverture, le mercredi soir. "Un malentendu, assure l'adjoint chargé de la culture, Eric Eydoux. Cette deuxième soirée, en extérieur - 15 000 personnes participent à la soirée de clôture, le samedi - était difficilement admissible pour les riverains. Mais nous n'avons jamais mis en question ce festival."

Mêmes protestations et même serment de bonne foi, à Marseille. Depuis 1999, Marsatac a dû chaque année changer de lieu et de date. "Les autorités se sont longtemps fichues du contenu, du public, des musiques" , regrette Dro Kilndjian, programmateur de Marsatac. Un passé qu'il conjugue vite au présent. "Les cultures alternatives font peur. Il y a des nuisances que la mairie n'est pas prête à assumer. Elle n'a pas envie de cette image." Adjoint chargé de la culture et des événements, Serge Botey soupire : "Si nous avions des a priori contre eux, nous ne leur donnerions pas 55 000 euros chaque année." Bien sûr, la ville a refusé plusieurs lieux réclamés par les organisateurs.

Trouver un site. Convaincre un élu de tenter l'aventure. Pour nombre de rassemblements de moindre importance, la difficulté commence... et s'arrête là. Depuis 2001, les Grenoblois d'Hadra butent sur ce premier obstacle. L'an passé, la mairie de Valbonnais (Isère) leur avait donné leur chance. Avec succès, pensaient-ils. Le couperet est tombé le 14 janvier, sous la forme d'une lettre : "Lors de votre rassemblement festif à caractère musical du 1er mai 2004, nous avons été agréablement surpris par la qualité du spectacle et son organisation, également par l'efficacité du service de sécurité et le sérieux du service de nettoyage. Toutefois, nous sommes au regret de ne pouvoir renouveler notre autorisation pour l'année 2005, la population du Valbonnais n'étant pas préparée à ce style de manifestation..."  Dans la foulée, Driss Bouayad, le président d'Hadra, assure avoir essuyé "une cinquantaine de refus" . Avant de trouver accueil à Chorges, dans les Hautes-Alpes, où se tiendra le rassemblement, du 1er au 3 juillet.

Conscient de cette difficulté, le collectif Technopol a rencontré, en mars, l'Association des maires de France. Un article est paru dans la revue de l'AMF pour rappeler aux élus "le nécessaire dialogue" avec les amateurs de techno. Une fiche pratique est en préparation pour détailler les démarches à entreprendre, et souligner la différence entre les festivals, les"teknivals" et les "free parties" . C'est que le vent paraît favorable.

En 1995, Nîmes avait cessé d'accueillir Borealis, la principale manifestation techno de l'époque. En 2000, Montpellier, qui avait pris le relais, s'arrêtait à son tour. Cet été, les deux villes organiseront chacune leur manifestation.

Nathaniel Herzberg
Article paru dans l'édition du 05.05.05
excellent article! pourvu que les lecteurs du Monde qui se fichent de la techno mais qui détiennent le pouvoir soient sensibilisés!
merci pour le lien, un tres bon article de Nathaniel Herzberg qui retrace et qui explique plutot bien ce qu'il se passe en france depuis quelques années jusqu'a aujourd'hui.

En tous cas petit à petit les choses avancent...    Smiley

A noté qd meme que pour les nuits sonores à lyon ( http://www.nuits-sonores.com/ ) il n'y a pas de place pour la trance et la psy...
ah si une minuscule place ici ouf ;p : http://sky.servermms.org/s,trancegoa,13,,8635,1,.html
ouaich, ça fait rêver quand on lit ça, mais on connait aussi l'inertie du systême ...

l'essentiel, c'est de constater qu'il y aura toujours des motivés pour faire bouger les choses  Smiley

et puis ouais, pourquoi pas un plateau trance officiel l'an prochain ?
Trans'plosion représente ...